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RETOUR SUR LES ÉVÈNEMENTS DU 3 NOVEMBRE 2021 DES DOCTEURS NON RECRUTÉS.

ByAssayie.net

Déc 22, 2021

  • Julien Paul Sery
    Bonjour Docteur Erick Amani
    Merci d’avoir répondu à notre appel pour cet entretien !
    Le 3 novembre dernier, une multitude de docteurs a organisé une marche sur le Plateau, laquelle marche s’est soldée par l’interpellation d’une soixantaine de personnes. Pouvez-vous nous dire quel était le motif de cette manifestation ?
  • Dr. Erick Amani
    Bonjour Monsieur,
    C’est moi qui vous remercie pour l’opportunité que vous me donnez à moi et, par ricochet à l’ensemble des docteurs non encore recrutés de Côte d’Ivoire, de revenir sur cette manifestation qui a secoué la journée du 3 novembre 2021.
    Les docteurs non encore recrutés de Côte d’Ivoire, toutes disciplines et spécialisés confondues, ont décidé de se constituer en un collectif pour parler d’une même voix face aux abus dont ils sont victimes depuis quelques années et contre lesquels rien n’est concrètement fait jusque-là. C’est ainsi que le mercredi 3 novembre 2021, le Collectif dans son ensemble a décidé d’effectuer une marche pacifique sur le Plateau, de la cathédrale Saint Paul à la présidence de la République de Côte d’Ivoire.
  • JPS
    Nous savons que les champs d’action et de travail par excellence des docteurs, des enseignants-chercheurs, ce sont les Universités et les laboratoires de recherche. Pourquoi avez-vous choisi de faire cette marche sur le Plateau et ce jour précisément ?
  • Dr. Erick A.
    Il est su de tous les Ivoiriens éclairés, des habitants et amis de notre beau pays, la Côte d’Ivoire, que les mercredis, il se tient généralement l’une des plus grandes réunions qui enregistrent la présence et la participation du président de la République, du Premier ministre et de tous les départements ministériels qui composent le gouvernement ivoirien. Le choix de la date et du lieu de notre marche pacifique était donc à dessein. Nous savions que ce jour-là Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, le président de la République de Côte d’Ivoire et tout son gouvernement seraient réunis en Conseil des ministres au palais présidentiel pour discuter des questions cruciales du pays et mettre tout en œuvre pour leur trouver les meilleures solutions. Il n’y a pas meilleur jour, pensons-nous, pour espérer rencontrer concomitamment Monsieur le Président de la république, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Madame la Ministre de la Fonction publique et de la Modernisation de l’Administration, Monsieur le Ministre du Budget et du Portefeuille de l’État et Monsieur le Ministre de la Promotion de la Jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service Civique pour leur donner l’ampleur du poids de la misère sous laquelle croupissent les docteurs non encore recrutés, depuis plusieurs années pour certains.
    Pour nous, il était important que nous allions faire un état réel des lieux aux dirigeants de notre pays. Il était urgent que nous allions leur faire le point de la situation de ces hommes et ces femmes qui ont trimé une décennie environ, se privant de certains plaisirs de la jeunesse, étudiant dans des conditions pénibles, ne recevant aucune aide financière de l’État pour la plupart, jusqu’à l’obtention du doctorat, pour se retrouver encore contraints à mendier leur pain, sous le fallacieux prétexte qu’il n’y aurait pas suffisamment de postes à pourvoir dans nos Universités ou que l’État de Côte d’Ivoire n’aurait pas suffisamment de ressources financières lui permettant de les absorber dans l’Administration.

Nous allions faire savoir à tout le gouvernement de Côte d’Ivoire que les docteurs qui candidatent aux différentes sessions de recrutement sont grugés par les Universités avec la complicité du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique. Le prétexte de l’autonomie des Universités et Grandes écoles publiques conduit le docteur candidat au recrutement à constituer un dossier de recrutement pour chacune des filières répondant à son domaine de compétences, tout en sachant qu’il ne peut être retenu, même avec le stock le plus élevé de chance qui puisse exister, que dans une seule filière. Qui plus est, la constitution d’un seul dossier coûte des sommes exorbitantes. Chose encore plus grave, il y a certains documents constitutifs du dossier de recrutement, à l’instar du certificat de non-bégaiement, qui sont spécifiques à chaque Université et Grande école publique. En clair, le certificat de non-bégaiement qu’un candidat établit pour l’Université Félix Houphouët-Boigny, par exemple, n’est pas valable pour l’INSAAC.

Cette façon de procéder suscite des interrogations fondamentales : premièrement, si toutes les Universités et Grandes écoles publiques sont sous la seule, et même tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique, pourquoi ne pas permettre aux candidats de constituer un seul dossier qui sera réceptionné par ce Ministère qui, à son tour, devra faire le dispatching dans les différentes Universités et Grandes écoles publiques selon le besoin qui aura été exprimé par chaque filière ou département ? Deuxièmement, si le candidat qui postule dans une des filières de l’UFHB, où son statut de non-bègue est clarifié, ne devient pas subitement bègue sur le chemin qui relie l’UFHB à l’INSAAC, pourquoi faut-il encore lui exiger un autre certificat de non-bégaiement qui lui coûte encore d’autres frais pour le compte de cette autre institution ?

Au regard de ces quelques faits, parmi une liste interminable, nous sommes parvenus à cette vérité que, et chaque conscience doit avoir l’honnêteté de la reconnaître même si elle n’est pas honorable, que le concours de recrutement d’assistants dans nos Universités et Grandes écoles publiques est devenu un business juteux au profit des organisateurs. C’est une grosse arnaque organisée qui appauvrit davantage les familles de ces dignes titulaires de doctorat en quête d’un emploi décent et honorable, d’une situation plus reluisante.
Ces faits nous amènent à croire que les Universités et Grandes écoles publiques de Côte d’Ivoire, à chaque session de recrutement, sont plus préoccupées à renflouer leurs caisses sur le dos de ces docteurs qui cherchent désespérément un emploi à la mesure de leur niveau d’étude qu’à donner à ces hommes et à ces femmes la réelle opportunité de servir dans la dignité et avec responsabilité leur pays.

  • JPS
    Dans cette situation floue du docteur chômeur, que propose le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique pour solutionner le problème ?
  • Dr. Erick A
    La crise que vit la Côte d’Ivoire, liée à la situation des docteurs non encore recrutés, transcende l’autorité et les compétences du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique.

La vérité, c’est que le docteur non encore recruté se retrouve, par la force des choses, dans une situation hybride. Il n’est pas tout à fait sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique parce qu’il n’est plus un étudiant et parce qu’il n’est pas encore un Enseignant-chercheur reconnu par ledit Ministère.

Voici une preuve que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique n’a pu encore trouver de solutions efficientes à cette crise : la marche des docteurs chômeurs du 3 novembre dernier avait été annoncée au moins une semaine avant. Des courriers de demande d’autorisation avaient été adressés aux autorités. À la veille de cette manifestation, le Ministère a convoqué précipitamment le Collectif des docteurs non encore recrutés à une rencontre. D’ordinaire, lorsqu’une rencontre est demandée par les autorités à la veille d’une telle manifestation, elle vise, par des négociations faites de promesses, et parfois même en intimidant ou en soudoyant quelques leaders, à suspendre tout soulèvement. Elle vise à étouffer dans l’œuf toute la manifestation.

Mais dans notre cas, la rencontre avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique n’a rien donné qui pouvait rassurer les docteurs au chômage d’un lendemain meilleur. Cette rencontre n’a donné aucune lueur d’espoir. Nous sommes donc partis plus que déterminés à notre marche pacifique le 3 novembre comme elle avait été préparée et annoncée.

  • JPS

En allant à cette marche, n’aviez-vous pas peur des mesures que pourraient prendre les autorités ?

-Dr. Erick A

Le collectif avait donné l’information de la marche pacifique à tous les docteurs non recrutés qui prenaient part aux différentes rencontres. La mobilisation avait été lancée. Les docteurs non recrutés, pour la plupart, étaient déterminés et mobilisés à prendre une part active à ce rendez-vous historique devant la cathédrale Saint-Paul du Plateau à 6h du mercredi 3 novembre.

Toutes les personnes qui faisaient un tour à la commune du Plateau cette matinée du mercredi 3 novembre 2021 dans les alentours de la cathédrale Saint-Paul s’apercevaient sans effort d’un climat inhabituel. Le dispositif militaire mobilisé était impressionnant. La Police avait envahi presque toutes les artères de la cité du Plateau de ses éléments. Quelque chose s’annonçait.

Mais les docteurs non recrutés, ceux qui avaient fait le déplacement jusqu’à la commune de Plateau, savaient qu’ils n’avaient rien à craindre. Ils savaient qu’il n’y avait aucun criminel parmi eux. Ils avaient un seul but : aller demander au président de la République de Côte d’Ivoire de prendre un décret spécial pour recruter des milliers d’Ivoiriens qui, après avoir brillamment obtenu le doctorat, se retrouvent encore au chômage parce que le système de recrutement est truffé de vice et dépourvu de cohérence et de transparence.

Voilà le motif pour lequel nous allions marcher pacifiquement, mais fermement en tenant chacun l’exemplaire de sa thèse de doctorat en main. Mais, avant même d’entamer la marche, certains de nos camarades avaient déjà été pris par la Police. C’était un spectacle triste. Des policiers, n’ayant aucune idée de la valeur d’un doctorat du point de vue intellectuel et scientifique, se jetaient sur tous les docteurs (hommes et femmes) à leur portée pour les emmener à bord de leurs véhicules de patrouille.

Après ces premières interpellations de quelques-uns de nos camarades dans les environs de la cathédrale Saint-Paul, nous avons décidé de mettre en œuvre notre plan B. Nous savions que notre lutte ne serait pas facile. Mais nous étions résolus. Nous avons donc entamé, avec d’autres membres du Collectif, une autre marche pacifique vers la Mairie du Plateau en direction de la présidence de la République.

Après un point de presse et quelques minutes de marche, la Police était encore là pour nous ramasser. Sans résistance, nous allions fièrement prendre place dans les véhicules de patrouille que la Police avait affectés à cet effet sans savoir où l’on nous emmenerait. Aucun des journalistes présents ne pouvait s’ennuyer. Ils avaient là toutes les images, et elles parlaient d’elles-mêmes.

À ce moment-là, nous avions une seule question à poser aux policiers. Nous leur avons demandé s’il y avait suffisamment de places pour 3 000 personnes là où ils nous emmenaient. Nous leur demandions s’ils avaient suffisamment de force pour ramasser plus d’un millier. En fait, les véhicules se remplissaient pendant que plusieurs autres docteurs attendaient encore d’être pris.

Les véhicules dans lesquels étaient les docteurs prenaient la direction de la commune d’Abobo. Il pouvait se lire dans les yeux des policiers qui nous conduisaient une sorte de tristesse, de regret d’avoir participé à l’interpellation de ces intellectuels. Mais, en les observant, nous savions qu’ils obéissaient à un ordre. Ils exécutaient tout simplement. Quelques minutes de route, et nous étions à la Préfecture de police d’Abobo. Là, nous voyions venir tour à tour des véhicules transportant les docteurs scandant à l’unisson : Le Décret… Le Décret… Le Décret… Tous les docteurs non encore recrutés sont unanimes qu’il faut un décret spécial.
En somme, avec toute l’artillerie déployée, la Police n’a pu prendre que 58 docteurs. Les policiers procédaient à nous enregistrer puis nous signifiaient le motif de notre interpellation et notre présence à la Préfecture de Police. Nous étions là, nous disaient-ils, pour avoir troublé l’ordre public.
Mais nous savions que nous n’avions rien fait de mal. Aucune société ne peut se réjouir et être en paix quand ceux qui sont censés poursuivre sa construction intellectuelle et scientifique sont muselés. Nous leur expliquions que l’ordre public était troublé depuis des années. En fait, l’ordre public est déjà troublé quand on maintient par malice des milliers de docteurs au chômage. L’ordre public est déjà troublé quand des docteurs, une partie de l’intelligentsia, se trouvent en train de mendier leur pain parce qu’on leur refuse l’accès à un emploi décent, parce qu’on leur refuse un emploi à la mesure de leur diplôme. L’ordre public est déjà troublé quand le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique et les Universités de Côte d’Ivoire simulent des recrutements pour arnaquer les docteurs en quête d’emploi. Ce ne sont donc pas les docteurs qui troublent l’ordre public. La preuve, c’est qu’ils n’ont rien casser, rien brûler sur leur passage. Ils n’ont pas obstrué la voie publique. Ils n’étaient responsables en rien des troubles qui avaient cours dans la société.
Les policiers, les plus soucieux de l’humain, commençaient à comprendre et se confondaient en excuses. Ils expliquaient qu’ils avaient juste reçu l’ordre de nous ramasser et nous garder là comme des délinquants.
Nous sommes donc restés à la Préfecture de Police sous surveillance de 8h à 20h30 environ. Aucun de nous n’a été brutalisé à la Préfecture de Police. Une fois libérés, nous nous sommes assurés de ce que chacun était arrivé à son domicile sain et sauf.

  • JPS
    Mais que disent vos maîtres, les professeurs d’Universités de tout ça ?
  • Dr. Erick A
    Nous savons que notre démarche tend à menacer, d’une manière ou d’une autre, certains privilèges de nos maîtres, les Enseignants-chercheurs. Certains soutiennent notre combat. D’autres s’en méfient dans la mesure où cette crise, liée à la quantité impressionnante de docteurs au chômage, ouvre implicitement le débat sur les fameuses heures complémentaires. Pourquoi des heures complémentaires qui coûtent des millions à notre État, quand on veut nous faire gober qu’il n’y a pas de place dans nos Universités et Grandes écoles publiques ? Pendant ce temps, des milliers de docteurs restent sans emploi. Et chaque jour, le nombre de docteurs au chômage grimpe parce que des soutenances se tiennent.
  • JPS
    Que propose alors le Collectif pour mettre fin à cette crise et votre message à l’endroit des autorités ?
  • Dr. Erick A
    Le décret, rien que le décret !
    Le Collectif demande au premier des Ivoiriens, au président de la République qui en a l’autorité, de prendre un décret spécial pour que tous les docteurs encore au chômage soient exceptionnellement incerés aussi bien dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche Scientifique que dans l’Administration publique. Nous pensons que ce n’est pas impossible. Nous irons le dire au Président de tous les Ivoiriens aussi longtemps que nous n’aurons pas gain de cause. Nous restons déterminés et mobilisés.
    Je vous remercie.

Réalisé par Julien Paul Sery journaliste professionnel

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